BLOGUE 139
LACOMBE, Albert (3)
L'épidémie de la fièvre scarlatine
Vers le commencement de mars 1857, quelques cas de fièvre scarlatine se déclarèrent et dégénèrent bientôt en une violente épidémie: la terreur règne et sème la désolation dans les camps des Pieds-Noirs, des gens du Sang, des Piégans et des Sarcis. Cette maladie était à peu près inconnue au pays. On l'avait rencontrée quelquefois, mais jamais avec cette violence et cette rapidité de propagation. Dans leur détresse, les sauvages ont recours à la Robe Noire...
Jamais encore le missionnaire n'est allé chez eux, mais ils l'ont rencontré maintes fois aux magasins de la Compagnie et dans leurs courses à travers la prairie.
Le père Lacombe, à peine remis des fatigues de son dernier voyage, se prépare donc à partir pour le lac du Boeuf à 100 milles de distance environ où campent les Pieds-Noirs et leurs alliés. Le froid est dur et la neige abondante. En vain cherche-t-il un guide car tous craignent la contagion. Heureusement le fidèle Alexis est là toujours décidé à le suivre et à braver en sa compagnie tous les dangers.
Il parviennent jusqu'à Edmonton et y passent la nuit. Le lendemain, de bonne heure, ils chaussent leurs raquettes et se dirigent à bonne allure vers les hauteurs qu'occupe aujourd'hui le centre commercial de Strathcona. Mais leur voyage est interrompu par une lugubre trouvaille: trois cadavres mutillés gisent dans la neige. Non seulement les chevelures, mais les mains et les pieds ont été coupés et suspendus plus loin aux branches d'un arbre. Il faut recueillir les restes et retourner à Edmonton pour leur donner une sépulture décente.
Ce devoir accompli, ils reprennent leur course et arrivent à la montagne Castor où ils recontrent un campement Cris. Il y a plusieurs catéchumènes instruits par le missionnaire. Quand ils apprennent le but de l'expédition, ils essaient par tous les moyens de l'en détourner, mais il secoue la tête et répond avec calme:
"Tout ce que vous me dites est très bien, mais rappelez-vous que je suis le père de tous les sauvages et en supposant même qu'ils me maltraitent après m'avoir appelé, il faut que j'y aille. Ne sont-ils pas dans le chagrin et la misère? Vous autres, ne seriez-vous pas contents que je vous soigne si vous étiez malades? Eh bien les Pieds-Noirs, sont malades, nous devons soulager même nos ennemis"
Au bout de deux jours, malgré une affreuse tourmente de neige qui leur fait perdre plusieurs fois leur route, les deux voyageurs aperçoivent le camps des Pieds-Noirs. Alors le Père déploie son pavillon blanc à croix rouge. En quelques instants, il est entouré d'une foule d'indiens gesticulant, criant se lamentant, qui le pressent de les suivre; c'est à qui aura sa première visite. Les uns le tiennent par les mains, les autres par les plis de sa soutane, d'autre s'acrochent à sa ceinture. On le soulève de terre en criant :
--Grand Maître de la vie, prends pitié de nous à cause de cet homme que tu aimes!... Et toi, homme de la Prière, viens sauver nos enfants, car ils vont mourir!...
Le Père Lacombe parvient enfin à les écarter et commence sa visite aux malades. Le camp se compose de 60 loges. La scène qui se présente aux yeux du missionnaire et indescriptible: il y a des femmes et des enfants à demi nus, le corps tout couvert d'éruptions, torturés par la fièvre. Quelques-uns se tordent de douleur dans des convulsions horribles; d'autres, le visage tuméfié, la langue pendante demeurent comme privés de sentiment; d'autres enfin, et ceux-là sont peut-être les moins pitoyables, ont trouvé le repos dans la mort...
Le prêtre se sent pénétré d'horreur, mais il se ressaisit et continue sa visite. Il passe dans une tente voisine; c'est le même spectacle de désolation. Il voit un père au paroxysme du désespoir tenant dans ses bras et
serrant contre son coeur le cadavre de sa fille morte depuis deux jours. Le pauvre sauvage lui parle, il lui soulève les paupières et lui ouvre la bouche, comme s'il espérait encore surprendre quelque signe de vie. C'est avec peine que l'on parvient à lui arracher la cadavre pour l'ensevelir avec les autres.
Partout où le missionnaire porte ses pas, ce ne sont que plaintes, gémisements, sanglots. Il faudrait des remèdes et il n'en a pas; son coeur se brise d'impuissante compassion. Comment donc faire, ô mon Dieu?....La charité est ingénieuse à trouver des ressources imprévues; il se sent inspiré soudain. Il va bénir de l'eau et en administre à chaque malade. Il se fait donc apporter tous les vases et les récipients qu'on peut réunir, les fait remplir d'eau qu'il bénit et distribue dans chaque famille; puis il enseigne à ces malheureux à faire le signe de la croix avant d'en boire. Il prescrit aux mères d'en donner à tous leurs enfants, même à ceux qui ne sont pas atteints du fléau ainsi qu'aux bébés les plus jeunes.
J'attribue la cessation du fléau à l'eau bénite"" a-t-il dit lui-même très souvent.
Il y a ainsi dix camps à quelques milles de distance les uns des autres; tous sont atteints de la même façon. Il les visite tous. Aidé de son compagnon. il administre le baptême aux enfants et aux mourants; il prodigue les mots d'encouragement et à ceux qui sont capables de le comprendre, il donne l'assurance du bonheur futur.
ref: "Le Père Lacombe" p. 100-103
Du Père Lacombe, on peut dire qu'il est un missionnaire de la trempe de Mère Thèresa.
No comments:
Post a Comment